ACTUALITE JURIDIQUE – Proposition de réforme de l’action de groupe à la française
Proposition de réforme de l’action de groupe à la française : quelles conséquences pour les victimes d’investissements toxiques ?
Maranatha, Solabios, Aristophil, Bio C’Bon, la liste des scandales financiers ayant entraîné la ruine de milliers d’investisseurs privés s’allonge chaque année. Si les investisseurs victimes de ces produits financiers peuvent agir en justice pour tenter d’obtenir réparation de leur préjudice, ils n’ont d’autre choix que de le faire à titre individuel, en raison du principe général du droit selon lequel « nul ne plaide par procureur » – autrement dit tout demandeur à une procédure doit comparaître en personne. La situation pourrait être amenée à changer, grâce à la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, adoptée le 8 mars 2023 en première lecture à l’Assemblée Nationale.
L’action de groupe permet à des personnes victimes d’un même dommage de la part d’un professionnel ou d’une personne publique de se regrouper au sein d’associations pour saisir la justice. Elle peut être exercée lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles.
Le périmètre des actions de groupe est large et permet de réparer les préjudices subis dans les domaines suivants :
- consommation et pratiques anticoncurrentielles
- santé
- environnement
- protection des données personnelles
- discriminations au travail
- location d’un bien immobilier.
Seules les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent exercer une telle action. Ainsi, et par exception au principe rappelé ci-dessus selon lequel nul ne plaide par procureur, seule l’association en question est demandeur à l’action, et non le groupe de personne.
- Aperçu de l’action de groupe à l’étranger
Si elle est bien connue outre-Atlantique, l’action de groupe est également d’ores et déjà très répandue en Europe.
En effet, et depuis déjà plus de 10 ans, le régime de l’action de groupe tel que prévu chez nos voisins témoigne d’un fonctionnement efficace.
D’abord, le champ d’application de ces différentes actions est vaste : en Angleterre, au Portugal, en Suède et aux Pays-Bas, elle s’applique à toutes les actions civiles.
De plus, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas y ont dédié des tribunaux spécialisés, permettant de soumettre ces actions à des magistrats formés et familiarisés sur ces problématiques.
Enfin, la portée de décision rendue est large : si elle a vocation à s’appliquer, a minima, aux seules personnes ayant adhéré au groupe (Allemagne, Angleterre, Italie, Suède), elle produit également ses effets sur toute personne n’ayant pas expressément refusé d’adhérer au groupe (Pays-Bas, Portugal). La décision est même parfois considérée comme un modèle qui lie les autres tribunaux (Allemagne, Angleterre)[1].
- L’instauration de l’action de groupe à la française et évolutions de son régime
La loi dite HAMON du 17 mars 2014 a installé les prémices de l’action de groupe à la française.
Ses dispositions avaient pour objectif de palier les lacunes de l’existante action en représentation conjointe qui, ne pouvant faire l’objet de publicité, ne pouvait remplir sa vocation de rassembler des victimes éparses d’un même préjudice. On décompte seulement dix actions en représentation conjointe engagées en vingt ans, dont la plupart n’ont pas abouti.[2]
La Loi HAMON s’est toutefois montrée inefficace puisque, bien qu’elle permette aux actions de groupe de faire l’objet d’une publicité, elle limitait le champ d’application de ces actions au droit de la consommation et les réservait aux seules associations agrées.
Or les associations de défense des consommateurs agréées, au nombre de 16 seulement, se révélaient incapables de supporter le coût de gestion et les risques d’un tel type d’action, faute de moyens financiers suffisants et d’assureurs acceptant de les couvrir.
La loi HAMON n’a pas su répondre aux enjeux économiques de l’action de groupe. Les concepteurs de la loi eux-mêmes reconnaissaient que « l’action de groupe n’a pas été à l’origine d’avancées significatives dans la défense des consommateurs »[3].
En clair, les raisons de l’échec de cette loi tiennent à la lourdeur procédurale, la complexité juridique et l’accès restreint de ce type d’action.
A partir de 2016, via la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, le dispositif d’action de groupe est étendu au domaine de la santé, de l’environnement et de la protection des données personnelles, ainsi qu’à la lutte contre les discriminations.
En 2018, par le biais de la loi ELAN, le dispositif est à nouveau élargi, cette fois-ci aux locations immobilières.
- Les avancées de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe
Déposée une première fois en 2020 puis à nouveau en décembre 2022, la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, présentée par Laurence VICHNIESKY et Philippe GOSSELIN a pour objectif de développer l’efficacité de la procédure d’action de groupe, dont l’utilisation demeure aujourd’hui encore trop limitée.
Les chiffres parlent d’eux même : depuis l’introduction en France de l’action de groupe en 2014, on décompte aujourd’hui seulement 32 actions de groupe intentées, dont 20 dans le domaine de la consommation, 12 ont fait l’objet d’un rejet et 14 sont toujours en cours, et seules six procédures (soit moins de 20 %) ont eu un résultat positif : trois déclarations de responsabilité du défendeur et trois accords amiables. Dans le domaine de la santé, on décompte seulement 3 actions de groupe (dans les affaires Levothyrox, Prothèses PIP et Médiator). Laurence VICHNIESKY considère que « ce bilan était et demeure décevant ».
Ce projet vise principalement à transposer en droit français la directive européenne n°2020-1828 relative aux « actions de groupe représentatives » ayant pour but de protéger les intérêts collectifs des consommateurs, via la codification dans le code civil et le code de justice administrative, d’un socle de dispositions de droit commun propre à l’action de groupe.
Le régime proposé par le texte a été pensé afin d’atteindre les objectifs principaux de l’action de
groupe : indemniser le préjudice subi et mettre fin au manquement allégué.
La proposition de loi prévoit la création d’un régime procédural unique pour toutes les actions de groupe et l’élargissement du champ d’application de ces actions à tous les secteurs.
Le nombre d’associations habilitées à engager ce type d’action devrait aussi être élargi à toutes les associations agrées, les syndicats représentatifs ainsi qu’aux associations déclarées depuis plus de deux ans et les associations ad hoc spécialement crées regroupant au moins 50 victimes personnes physiques, dix entreprises ou cinq collectivités locales.
Cette possibilité d’agir des associations de victimes constitue un apport absolument essentiel de la proposition de Loi pour les victimes de produits financiers toxiques, car les associations de la Loi de 1901 constituent des structures très légères, qui peuvent être créées rapidement et administrées à peu de frais et de manière souple.
Surtout, les victimes de placements toxiques constituent en règle générale un groupe relativement restreint (quelques milliers de personnes) souffrant de préjudices importants (plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros par personne), alors que les associations de consommateurs ont privilégié depuis 2014 les actions impactant un très large groupe de victimes (parfois plusieurs millions de consommateurs) ayant subi des préjudices individuels limités (quelques dizaines ou centaines d’euros), et qui ne faisaient jamais l’objet de recours en justice.
Cette nouvelle possibilité constituera donc un outil puissant pour émanciper les actions de groupe de la tutelle de l’UFC QUE CHOISIR et de la CLCV, seules associations de consommateurs ayant en pratique les moyens d’initier des actions de groupe.
Les délais pour agir seront également allongés avec la proposition de Loi.
Le texte donne de plus la possibilité au juge de prendre des mesures conservatoires afin de faire cesser les manquements, sous réserve que soit démontrer le dommage imminent ou le trouble manifestement illicite.
Ce projet prévoit la possibilité d’indemniser l’ensemble des préjudices, y compris les préjudices moraux, matériels et corporels, quel que soit le secteur concerné. Le texte prévoit également une sanction civile en cas de comportement dolosif du défendeur, plafonnée à 5% du chiffre d’affaire hors taxes de ce dernier, lorsque « l’auteur du dommage a délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie, ayant contribué en tout ou partie au manquement constaté ».
Autre nouveauté : les frais engagés par les associations, même en cas d’échec, pourront être mis en totalité ou a minima en partie à la charge de l’Etat. Sont concernés à première vue les frais afférents aux mesures d’instruction, comme les frais d’expertise qui peuvent atteindre des montants conséquents. Cependant, ne semblent pas concernés les frais de procédure et honoraires d’avocats. Les dépens pourront toutefois être mis par le juge à la charge de l’Etat.
Concernant la publicité de ces actions, elle sera amplifiée et facilitée par la tenue, par le Conseil National des Barreaux, d’un registre public des actions de groupe en cours devant l’ensemble des juridictions du territoire.
Aussi, le projet de loi envisage de dédier ces actions à la compétence de tribunaux spécialisés, comme cela est déjà le cas dans certains pays européens (voir plus haut).
La décision rendue bénéficiera de l’exécution provisoire : en cas de succès, les victimes pourraient être immédiatement indemnisées. Ces sommes devront cependant bien entendues être préservées en cas d’infirmation du jugement en appel.
Il subsiste cependant d’importantes incertitudes concernant les actions visant à indemniser les victimes de produits financiers défectueux, dans la mesure où la plupart de ces actions se fondent sur un manquement par un professionnel à un « défaut de conseil » (au sens large), que la Cour de cassation considère désormais comme des litiges individuels par nature ne pouvant être traités de manière sérielle par les assureurs. La haute juridiction a ainsi rappelé que « les dispositions de l’article L.124-1-1 du Code des assurances consacrant la globalisation des sinistres ne sont pas applicables à la responsabilité encourue par un professionnel en cas de manquements à ses obligations d’information et de conseil, celles-ci, individualisées par nature, excluant l’existence d’une cause technique, au sens de ce texte, permettant de les assimiler à un fait dommageable unique » (Cass. Civ. 2ème, 24 septembre 2020, n°18-12593).
Dès lors, une action de groupe pourra-t-elle être engagée par une association de victimes lorsque c’est un défaut de conseil qui vise à être sanctionné ? Ce point mérite sans doute d’être éclairci à l’occasion des débats qui auront lieu avant l’adoption du texte final.
- Le rôle de l’avocat dans l’action de groupe, écueil de la proposition de loi.
Le Conseil National des Barreaux a demandé à ce que l’action de groupe telle qu’envisagée dans ce projet de loi accorde une place et un rôle plus importants aux avocats[4], souhaitant que « le rôle de coordinateur du groupe conduisant une telle action soit confié à l’avocat avant même d’envisager qu’il soit recouru au filtre d’une association ou d’une organisation syndicale ».
A ce sujet, les députés L. VICHNIEVSKY et P. GOSSELIN, portant le projet de loi, ont déclaré que « L’avocat aura toute sa place pour conseiller et défende l’association, mais nous ne souhaitons pas qu’il soit partie lui-même »[5].
Malheureusement, à l’issue de l’examen de la proposition de loi par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 15 février 2023, les députés ont rejeté la demande du Conseil National des Barreaux d’accorder une place plus importante aux avocats dans le fonctionnement du dispositif. [6]
On y voit une crainte du législateur de voir se démultiplier ces actions par appât du gain, dérive observée aux États-Unis où les avocats perçoivent une part importante de l’indemnisation allouée par le juge aux consommateurs.
Or, en réalité, ce phénomène ne saurait se produire en France, puisqu’est interdit le pacte de quota litis total qui consiste à rémunérer exclusivement l’avocat par un pourcentage du montant des indemnités.
Cette proposition de loi, en manquant d’attribuer à l’avocat un rôle protagoniste dans l’action de groupe, rate l’occasion une nouvelle fois d’introduire en droit français un mécanisme vraiment innovant qui aurait permis non seulement de changer les pratiques mais, par la même occasion, de désengorger les tribunaux en diminuant le nombre d’actions conjointes, très lourdes à gérer pour les greffes, et en orientant ces contentieux vers les nouveaux tribunaux spécialisés, ce qui aurait également été un gage d’efficacité de traitement des dossiers.
Ainsi, bien que cette réforme apporte sans aucun doutes de nombreuses avancées, nous sommes encore bien loin de la class action ou du recours collectif outre-Atlantique, où l’avocat exerce un rôle clé en ayant la faculté de coordonner l’action de groupe, pas uniquement celle de représenter ces associations.
Philippe JULIEN / Marie TERRIEN
[1] Rapport d’information du Sénat n°499 du 26 mai 2010, L’action de groupe à la française : parachever la protection des consommateurs.
[2]Louis BORE, Le projet d’action de groupe : action mort-née ou premier pas ?, Gazette du Palais n°136, 16 mai 2013 n°130j4.
[3] C. LEGUEVAQUES, Action de groupe ou « class action », il faut choisir, tribune du JDD du 19 février 2023
[4] Gazette du Palais du 14 février 2023, GPL445s7
[5] Gazette du Palais du 21 février 2023, n°6, GPL446c8
[6] Gazette du Palais, 14 février 2023, Miren LARTIGUE, Actions de groupe : mes grandes lignes du nouveau dispositif envisagé.