ACTUALITE JURIDIQUE – Affaire du Levothyrox : fin de l’action collective intentée par plus de 3000 patients
AFFAIRE DU LEVOTHYROX : FIN DE L’ACTION COLLECTIVE INTENTEE PAR PLUS DE 3000 PATIENTS
Marie Albertini, Avocate associée, PDGB
Depuis mars 2017, le laboratoire Merck a opéré un changement de formule sur le Levothyrox, ouvrant la porte à une action collective intentée par plus de 3000 patients se plaignant d’effets secondaires. Leur action se fondait sur la responsabilité de droit commun et réclamait l’indemnisation d’un préjudice moral. Cette approche originale vient tout juste d’être validée par la Cour de Cassation.
Une crise née au cœur de l’été 2017
En mars 2017, MERCK met sur le marché, à la demande de l’ANSM, une nouvelle formule du Levothyrox, médicament traitant l’hyperthyroïdie, dont un excipient, le lactose, a été remplacé afin d’en améliorer la stabilité.
Dès juin 2017, des patients se plaignent d’effets indésirables attribués à la nouvelle formule du médicament. Des pétitions sont lancées sur Internet et recueillent rapidement des milliers de signatures. La crise s’amplifiant tout l’été, la Ministre de la Santé déclarera mi-septembre « Ceci n’est pas un scandale sanitaire, mais c’est une crise d’information ». C’est effectivement un défaut d’information qui a été retenu 5 ans plus tard par la Cour de Cassation saisie des procédures engagées contre MERCK par des patients demandant à être indemnisés d’un préjudice moral évalué à 10.000 EUR chacun.
En dehors de toute défectuosité du produit, le fabricant reste tenu d’un devoir d’information
Pour des raisons procédurales, les demandeurs ont renoncé à invoquer une défectuosité du produit en raison de sa nouvelle formulation. Ils se sont placés sur le terrain de la responsabilité pour faute du laboratoire en invoquant un défaut d’information des patients quant au changement de formule et aux risques encourus. Les demandeurs ont obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Lyon le 25 juin 2020.
La Cour de Cassation vient d’approuver la Cour d’appel d’avoir retenu une conjonction de circonstances tout à fait particulières pour caractériser le défaut d’information de la part du fabricant. Selon elle, le laboratoire avait eu connaissance d’un nombre non-négligeable de personnes sujettes à un déséquilibre thérapeutique à la suite du changement de formule du Levothyrox dans d’autres pays et d’un risque important de réactions négatives chez une fraction de patients non-spécifiquement identifiables. De plus, le Levothyrox n’était pas substituable. L’ensemble de ces circonstances aurait dû conduire le fabricant à être particulièrement attentif à l’information individuelle des patients et non se limiter à une information des professionnels de santé et à une mention dans la notice.
La Cour de Cassation, bien qu’ayant relevé que la notice et l’étiquetage du produit avaient été validés par l’ANSM, n’en conclut pas moins à la responsabilité du fabricant en considérant que le changement de formule aurait dû être indiqué directement sur les boîtes et par des mentions apparentes dans la notice ou un document supplémentaire joint à celle-ci. En bref, l’approche principalement réglementaire de l’information sur le médicament ne doit pas avoir pour effet de négliger la nécessité de son appropriation par le public et les professionnels de santé.
Sans démonstration d’un préjudice corporel, un préjudice moral peut être indemnisé à raison d’un défaut d’information
La question était de déterminer si le défaut d’information peut être à l’origine d’un préjudice moral, indépendamment du fait de savoir si la nouvelle formule du Levothyrox était ou non à l’origine des effets indésirables rapportés par les patients. Le laboratoire pharmaceutique le contestait en faisant valoir que, en l’absence de réalisation des risques dus au changement de formule que le respect de son obligation d’information aurait permis d’éviter, aucun préjudice moral ne pouvait être indemnisé.
Cependant, la Cour de Cassation a rejeté cette argumentation en jugeant que, n’ayant pas été informés du changement de la composition du médicament, ses utilisateurs n’avaient pas été en mesure de faire face aux effets indésirables ressentis et de se tourner vers les professionnels de santé. Un préjudice moral temporaire, jusqu’à la date à laquelle ils ont été informés du changement de formule, leur est donc reconnu, indemnisé à hauteur de 1.000 EUR.
Le montant de l’indemnisation individuelle pourrait paraître faible au regard des demandes 10 fois supérieures. Il interroge néanmoins dans la mesure où la Cour d’appel, en l’absence de justification par chacun des patients de l’importance de son préjudice, a fixé une indemnisation identique pour tous alors que cette constatation aurait dû la conduire à n’accorder pour ce préjudice moral temporaire qu’un 1€ symbolique. On peut penser que la condamnation prononcée vise plus à sanctionner le fabricant qu’à indemniser les patients et par cette sanction à alerter l’ensemble de l’industrie pharmaceutique sur son obligation d’information des patients.