ACTUALITE JURIDIQUE – Refonte du régime des nullités en droit des sociétés

L’ordonnance nº 2025-229 du 12 mars 2025, prise sur le fondement de la loi du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France, porte réforme du régime des nullités en droit des sociétés.
Cette ordonnance poursuit un double objectif à savoir simplifier les règles en matière de régime des nullités et apporter plus de sécurité juridique aux sociétés.
La réforme entrera en vigueur à compter du 1er octobre 2025, pour la très grande majorité de ses dispositions.
Retrouvez l’analyse des principaux apports de cette ordonnance par Agathe Toussaint, collaboratrice au sein du cabinet PDGB.
I. Refonte du droit commun des nullités
Un fondement juridique unique. Alors que le régime des nullités était régi tant par le Code civil que le Code de commerce, les articles L. 235-1 à L. 235-14 du Code de commerce ont désormais été abrogés par l’ordonnance, de sorte que seuls les articles 1844-10 et suivants du Code civil encadrent les nullités.
De nouvelles précisions sur les causes de nullités. Le nouvel article 1844-10 alinéa 4 du Code civil pose le principe selon lequel : « sauf si la loi en dispose autrement, la violation des statuts ne constitue pas une cause de nullité. »
L’alinéa 3 de ce même article dispose quant à lui que : « la nullité des décisions sociales ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative de droit des sociétés, à l’exception du dernier alinéa de l’article 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général. »
Jusqu’alors, seule la violation d’une disposition expresse du livre II du Code de commerce ou des lois qui régissent la nullité des contrats entraînait la nullité. Désormais, la notion « de disposition impérative » est bien plus étendue de sorte qu’il appartiendra au juge de déterminer si une disposition entre, ou non, dans le champ des dispositions impératives de droit des sociétés.
Le renforcement de l’office du juge – triple test. La principale nouveauté est l’introduction d’un triple test par le nouvel article 1844-12-1 du Code civil, qui a pour effet de mettre fin au caractère automatique du prononcé de la nullité.
Pour que la nullité des décisions sociales soit prononcée, le juge par une appréciation, in concreto, devra vérifier les trois conditions suivantes :
1) que « le demandeur justifie d’un grief résultant d’une atteinte à l’intérêt protégé par la règle dont la violation est invoquée » ;
2) que « l’irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision » ;
3) que « les conséquences de la nullité pour l’intérêt social ne sont pas excessives, au jour de la décision la prononçant, au regard de l’atteinte à l’intérêt dont la protection est invoquée ». Il s’agit là d’un contrôle de proportionnalité similaire à celui applicable à la sanction de l’exécution forcée du contrat (article 1221 du Code civil).
L’atténuation des effets de la nullité. Afin d’éviter les nullités « en cascade », l’ordonnance prévoit deux dispositifs :
- désormais, la nullité de la nomination ou le maintien irrégulier d’un organe ou d’un membre d’un organe de la société n’entraîne pas la nullité des décisions prises par celui-ci, sauf disposition législative contraire (article 1844-15 -1 du Code civil) ;
- le juge a désormais la faculté de différer les effets négatifs de la nullité lorsque la rétroactivité de la nullité d’une décision sociale est de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social (article 1844-15-2 du Code civil).
L’allègement du délai de prescription. Le délai de droit commun de la prescription de l’action en nullité passe de trois ans à deux ans, le point de départ demeurant le jour où la nullité est encourue (1844-14 du Code civil).
II. Nouvelles dispositions propres au droit spécial des sociétés
L’encadrement de la nullité des décisions d’augmentation de capital. Désormais, l’action en nullité portant sur une décision d’augmentation de capital se prescrit par trois mois à compter (i) de la date de l’assemblée générale au cours de laquelle le rapport sur les conditions définitives de l’opération est porté à la connaissance des actionnaires, lorsque l’augmentation de capital a fait l’objet d’une délégation de pouvoirs ou de compétence au conseil d’administration ou au directoire, ou (ii) de la date à laquelle la décision dont la régularité est contestée a été prise, dans tous les autres cas (articles L.225-149-4 et L.225-149-5 du Code de commerce).
Pour les sociétés cotées, l’action en nullité portant sur une décision d’augmentation de capital n’est plus recevable à compter de la réalisation de l’opération (article L.22-10-55-1 du Code de commerce).
La faveur accordée aux nullités statutaires dans les SAS. Il s’agit d’une disposition spécifique à la société par actions simplifiée, qui est d’ailleurs la première forme de société commerciale utilisée (avec 203 986 créations de SAS en 2024). Désormais, le nouvel article L. 227-20-1 du Code de commerce prévoit que : « les statuts peuvent prévoir la nullité des décisions sociales prises en violation des règles qu’ils ont établies. L’action en nullité est alors mise en œuvre dans les conditions prévues par les articles 1844-10-1 à 1844-17 du Code civil ».
Le risque associé à cette nouvelle disposition est naturellement celui d’une démultiplication des actions en nullité en cas violation des statuts d’une SAS.
Enfin, se pose naturellement une question épineuse quant à l’application de ce nouveau régime : ces nouvelles dispositions s’appliqueront-elles de plein droit aux actes accomplis antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance ? Les premiers commentateurs de cette réforme, dont le Professeur Bruno Dondero, suggèrent que la nullité d’un acte accompli avant l’entrée en vigueur de la réforme devrait être régie par l’ancien régime des nullités.