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ACTUALITÉ JURIDIQUE – L’ouverture en demi-teinte à la concurrence dans le secteur des pièces détachées automobiles

L’ouverture en demi-teinte à la concurrence dans le secteur des pièces détachées automobiles – 8 Novembre 2021

Par Benjamin Jacob, Pierre-Yves Thomé, Virginie Coursière-Pluntz, Camille Peraudeau

Plus de deux ans après l’annonce du gouvernement, les règles concernant les pièces détachées visibles de véhicules à moteur et remorques vont enfin évoluer avec la remise en cause du monopole historique des constructeurs.

Dès juillet 2011, constatant une hausse importante du prix des pièces détachées et des prestations de réparation et d’entretien des véhicules ces vingt dernières années, l’Autorité de la concurrence avait ouvert une enquête sectorielle afin d’analyser le jeu de la concurrence sur ce marché, avant de lancer quelques mois plus tard une large consultation publique visant à recueillir l’avis de l’ensemble des parties prenantes (constructeurs, équipementiers, organisations professionnelles, associations de consommateurs, etc.).

En octobre 2012, l’Autorité avait publié un avis[1] en faveur de l’ouverture « progressive et maîtrisée » du marché des pièces de rechange visibles (ailes, capots, pare-chocs, pare-brise, feux, rétroviseurs, etc.), en commençant par les pièces de vitrage. Elle y faisait le constat du retard de la France sur ses voisins européens, et notamment l’Allemagne qui a fait le choix d’un marché complètement libéralisé.

Parmi les évolutions nécessaires identifiées par l’avis afin d’optimiser le jeu de la concurrence dans le secteur, figurait ainsi la modification du code de la propriété intellectuelle, afin de permettre aux équipementiers de première monte fabriquant la pièce pour le compte du constructeur d’effacer le logo du constructeur sur ces pièces. L’Autorité avait en effet relevé que le délit de suppression de marque[2] était invoqué par certains constructeurs afin d’interdire à leurs équipementiers d’effacer leur logo et de les dissuader de fabriquer et de commercialiser des pièces équivalentes. Cet obstacle ne pouvait pas être levé par le seul droit de la concurrence.

La volonté d’ouverture à la concurrence du marché des pièces détachées visibles automobiles s’est finalement concrétisée dans la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique[3] venue modifier les droits des constructeurs, notamment automobiles, et ainsi créer de nouvelles opportunités pour les équipementiers à compter du 1er janvier 2023.

Si jusqu’alors, la vente des pièces visibles était de fait réservée aux seuls constructeurs – ils détenaient un monopole sur plus de 70% des ventes et un duopole avec les équipementiers sur les 30% restants – c’est bien parce que ceux-ci en contrôlaient la commercialisation grâce à leurs droits de propriété intellectuelle.

Les pièces détachées automobiles peuvent souvent, dès leur que leur apparence est « originale » – c’est-à-dire emprunte de la personnalité de leur auteur – bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Il en va de même pour les pièces détachées « nouvelles » (aucun dessin et modèle identique ou quasi-identique n’a été divulgué) présentant un « caractère propre » (c’est-à-dire qu’il ne doit pas susciter une impression de déjà-vu dans son ensemble, par rapport à un dessin ou un modèle divulgué antérieurement), qui peuvent bénéficier de la protection des dessins et modèles.

Faut-il le rappeler, le droit d’auteur et les droits des dessins et modèles confèrent à leur titulaire un monopole d’exploitation dont la violation expose le contrevenant à des poursuites sur le fondement de la contrefaçon.

Appliqué au secteur automobile, le monopole de droit résultant du droit d’auteur et du droit des dessins et modèles sur les pièces détachées automobiles aboutissait à un monopole de fait, dont la préservation était somme toute « aisée » du fait des nombreuses armes de lutte contre la contrefaçon offerte plus particulièrement par le code de la propriété intellectuelle (saisies douanières, référé spécifique à la propriété intellectuelle, référé préventif, action en contrefaçon, etc.).

Pour pallier l’incapacité du droit de la concurrence à forcer les détenteurs du droit d’auteur et du droit des dessins et modèles à renoncer à user de ces droits contre les équipementiers automobiles, la loi Climat et Résilience a donc réformé le code de la propriété intellectuelle afin d’étendre la liste des exceptions au monopole d’usage de ces droits.

Reste que cette ouverture du marché est en demi-teinte, puisque les nouvelles exceptions prévues ne concernent à ce stade que les seules pièces détachées visibles, les exceptions prévues ne visant pour l’instant qu’à rendre leur apparence initiale aux véhicules. La nouvelle exception afférente aux dessins et modèles est encore bien plus restrictive, puisqu’elle ne s’applique qu’aux pièces de vitrage et aux pièces réalisées par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine.

On peut donc considérer que la concurrence entre le constructeur automobile et son équipementier s’ouvrira sous l’effet de la nouvelle loi[4] – avec la possibilité pour les équipementiers de gagner rapidement une part de marché significative en produisant des pièces qualitatives avec des marges plus réduites que les constructeurs – mais que celle entre équipementiers restera relativement fermée, exclusion faite donc des pièces de vitrage.

L’ensemble du secteur des équipementiers pourrait toutefois se réjouir du fait que la durée maximale du monopole d’exploitation conféré par le droit des dessins et modèles sur les pièces détachées visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule passe désormais de 25 ans à 10 ans. Certains seront néanmoins sceptiques sur la portée de cette mesure, considérant que ces pièces détachées se rapportent à des véhicules âgés qui auront vocation à être de moins en moins présents du fait des contraintes environnementales.

D’autres regretterons – sans doute à raison – que le droit de la concurrence et, plus encore, le droit de la propriété intellectuelle dans sa conception française, voire européenne, restent un corpus législatif ambitieux, mais aux effets bien insuffisants sur la réalité du marché.

D’autant qu’il s’agit d’un secteur sur lequel certains équipementiers hors UE, parfois peu scrupuleux des lois, se jouent encore relativement facilement des frontières et échappent aisément à toute condamnation du fait de leur éloignement géographique et d’une coopération internationale encore trop limitée dans la lutte contre la contrefaçon.

En conclusion, s’il faut évidemment se féliciter de la dynamique lancée par l’Autorité de la Concurrence et la mise en œuvre de cette dynamique par le législateur via une première étape encourageante, gageons que l’ouverture à la concurrence se poursuivra et qu’elle s’accompagnera d’une démarche multiétatique, allant au-delà des seules frontières de l’UE et s’étendant vers l’Asie, pour encadrer toujours mieux la concurrence et la lutte contre la contrefaçon sur le plan international.

[1] ADLC, Avis n° 12-A-21, 08/10/12, relatif au fonctionnement concurrentiel des secteurs de la réparation et de l’entretien de véhicules et de la fabrication et de la distribution de pièces de rechange.

[2] Article 713-3-1, 7° du code la propriété intellectuelle (ancien article L. 713-2 b).

[3] Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi « Climat et Résilience ».

[4] Reste que les équipementiers concluent parfois des contrats d’outillage avec les constructeurs, contrats les dissuadant de fabriquer et commercialiser leurs propres pièces, et ce d’autant que les constructeurs ont bien souvent la propriété des machines de fabrication des pièces détachées. Pour autant, bien que propriétaires des machines, le droit de la concurrence ne permet pas aux constructeurs d’empêcher les équipementiers de les utiliser pour produire des pièces de rechange.

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