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ACTUALITE JURIDIQUE – Pratiques abusives de Google devant la justice européenne

Pratiques abusives de Google devant la justice européenne : les restrictions contractuelles à l’utilisation d’Android dans le but de favoriser Google Search

L’amende record imposée par la Commission européenne à Google pour avoir imposé des restrictions de concurrence illégales à ses partenaires contractuels dans le but d’accroître sa dominance sur le marché des services de recherches générales en ligne, vient d’être largement confirmée par le Tribunal de l’Union européenne.

 

Un peu de contexte

En avril 2015, la Commission européenne, après avoir reçu plusieurs plaintes relatives à des pratiques commerciales de Google (qu’on ne présente plus !) dans l’Internet mobile, avait ouvert une procédure formelle d’examen du système d’exploitation de téléphone mobile « Android », dont étaient équipés 80% des smartphones utilisés en Europe en 2018[1].

A l’issue de cette procédure, Google a été sanctionné pour avoir consolidé la position dominante de son moteur de recherche en imposant des restrictions contractuelles jugées anticoncurrentielles aux fabricants de téléphones ainsi qu’aux opérateurs de réseaux mobiles[2]. En conséquence de quoi, Google s’est vue infliger par la Commission européenne une amende de 4,3 milliards d’euros, la plus lourde jamais infligée pour un abus de position dominante[3].

Dans son jugement rendu le 14 septembre 2022, le Tribunal de l’Union européenne vient confirmer pour l’essentiel la décision de la Commission. Bien qu’il réduise un peu le montant de l’amende finale imposée à Google, le Tribunal ne remet pas fondamentalement en cause la décision de la Commission. Au contraire, le Tribunal confirme les effets d’exclusion découlant des pratiques abusives mises en œuvre par Google pendant la période de l’infraction.

Le jugement du Tribunal

Après avoir identifiés les marchés affectés par les pratiques (1), l‘arrêt s’attarde sur trois points : (2) la régularité de la procédure, (3) la confirmation du caractère abusif des pratiques de restrictions contractuelles imposées par Google et (4) les erreurs d’analyse de la Commission sur l’appréciation du As Efficient Competitor test, qui justifient une diminution de 200 millions d’euros de l’amende.

  • Les marchés pertinents : L’écosystème Google et l’interconnexion des marchés concernés

La Commission et le Tribunal ont identifié quatre marchés pertinents[4]. Quoi que Google n’occupe une position dominante que sur trois d’entre eux, le quatrième marché identifié, celui des navigateurs internet pour appareils mobiles, est également « concerné » par les pratiques reprochées à Google, compte tenu de l’interconnexion de son navigateur avec les autres services numériques qu’il propose, ainsi que de la stratégie globale mise en œuvre par Google pour intégrer son moteur de recherche dans un « écosystème ».

Le Tribunal, tout comme la Commission, considèrent que les systèmes d’exploitation utilisés par des développeurs verticalement intégrés (iOS d’Appel ou Blackberry) ne font pas partie du marché, étant donné que les fabricants tiers ne peuvent en obtenir les licences d’exploitation.

Pour confirmer la conclusion de la Commission quant à la position dominante de Google, le Tribunal retient dans son arrêt que la pression concurrentielle indirecte exercée sur ce marché par le système d’exploitation d’Apple, qui ne pouvait faire l’objet de licence, ne contrebalançait pas suffisamment la position dominante de Google sur ce marché.

  • La confirmation du caractère abusif des restrictions contractuelles dans les accords de distribution et les accords dits d’ « antifragmentation »

Les pratiques qui avaient été sanctionnées par la Commission étaient de trois ordres :

Premièrement, dans ses « accords de distribution » des applications mobiles, la société Google imposait aux fabricants de téléphone de préinstaller ses applications de recherche (Google Search) et de navigation (Chrome) afin d’avoir accès à la licence d’exploitation de la boutique d’applications Play Store.

Deuxièmement, dans ses « accords de partage des revenus », Google subordonnait la rétrocession d’une part de ses revenus publicitaires aux fabricants et aux opérateurs de réseaux mobiles, à leur engagement à renoncer à la pré-installation d’un service de recherche concurrent à Google Search.

Enfin, dans des accords dits « d’antifragmentation », Google conditionnait l’obtention des licences d’exploitation nécessaires à la pré-installation des applications Google Search et Play Store, à l’engagement des fabricants de ne pas vendre des appareils équipés de versions d’Android non agréées par Google.

Concernant les accords de distributions d’application mobiles imposées aux fabricants, le Tribunal confirme que les conditions de pré-installation des applications de recherche et de navigation (offres groupées composées de Google Search et Play Store, et parfois de Chrome) imposées aux fabricants d’appareils mobiles, leur permettant d’avoir accès à la licence d’exploitation de la boutique d’applications Play Store, risquaient de désinciter le consommateur à arbitrer entre différentes applications concurrentes au profit des applications Google à leur disposition. A ce titre, le Tribunal relève qu’en pratique, l’installation et l’utilisation d’applications de recherche concurrentes restent limitées, notamment compte tenu des accords de partage de revenus, qui concernaient plus de 50% des appareils Android vendus dans l’EEE entre 2011 et 2016. Le Tribunal confirme également que les offres groupées n’avaient aucune justification objective.

Cette forme de vente liée n’est pas uniquement une pratique abusive par objet mais aussi abusive par effets. Le Tribunal établit des analogies avec son arrêt Microsoft (T-201/04, 17 septembre 2007, Microsoft/Commission), et reconnaît ouvertement que, dans les circonstances spécifiques de l’affaire Android, l’impact anticoncurrentiel des ventes liées ne pouvait pas être simplement présumé et devait être établi à la lumière du contexte économique et juridique pertinent[5].

Les accords antifragmentation visaient à faire obstacle aux appareils fonctionnant avec une version non approuvée d’Android, en imposant une norme de référence de compatibilité minimale. Une entreprise est en droit d’imposer des exigences de compatibilité mais elle ne peut toutefois pas entraver le développement et la commercialisation de produits concurrents sur le marché des systèmes d’exploitation sous licence. Le Tribunal estime que la pratique a renforcé la position dominante de Google sur le marché des services de recherche générale en limitant la diversité des offres accessibles aux utilisateurs, et qu’elle a ainsi freiné l’innovation.

Selon le Tribunal, la Commission était en droit de constater que les accords visaient à empêcher le développement et la présence sur le marché d’appareils fonctionnant avec un système Android non compatible. Ces pratiques abusives ont conduit non seulement à renforcer la position dominante de Google sur le marché des services de recherche générale, mais aussi à décourager l’innovation, dans la mesure où elle avait limité la diversité des offres disponibles pour les utilisateurs.

Les restrictions dénoncées avaient toutes pour but de renforcer la position dominante de Google Search sur le marché des services de recherche générale et d’augmenter par là-même les revenus que Google tire des annonces publicitaires liées aux recherches des internautes.

  • Les erreurs d’analyse de la Commission dans l’application du test As Efficient Competitor pour l’appréciation des accords de partage de revenus

Les accords de partage de revenus sont assimilés à des accords d’exclusivité, dès lors que le partage de recettes publicitaires négocié était subordonné à l’absence de pré-installation de services de recherche générale concurrents de Google Search.

Dans son arrêt, le Tribunal met l’accent sur les erreurs d’analyse commises par la Commission notamment dans l’appréciation de la « capacité inhérente » de l’accord de partage de revenus à évincer des concurrents au moins aussi efficaces au détriment d’une concurrence par les mérites[6].

A l’instar des affaires Intel[7] et Qualcomm[8], le Tribunal a pris soin de vérifier l’application par la Commission du test du « concurrent au moins aussi efficace » (As Efficient Competitor ou AEC Test). Il reconnaît que la Commission n’a pas suffisamment étayé la thèse de l’abus s’agissant des accords de partage de revenus. Il constate à cet égard plusieurs erreurs de la Commission dans son appréciation des capacités théoriques d’un « concurrent aussi efficace » à faire concurrence à Google, notamment s’agissant de l’estimation des coûts attribuables à un tel concurrent, de l’appréciation de sa capacité à obtenir des fournisseurs la pré-installation de son application et de l’estimation des revenus susceptibles d’être dégagés en fonction de la vétusté des appareils en circulation.

  • La régularité de la procédure : l’examen de violations alléguées des droits de la défense

Sur le plan procédural, le Tribunal accueille positivement l’argument de Google tenant à la violation du droit à être entendu. Il considère que la Commission a privé Google d’une chance de mieux assurer sa défense en lui refusant une audition pour développer ses arguments relatifs à l’analyse du « concurrent aussi efficace ».

Le Tribunal constate également une violation du droit d’accès au dossier mais refuse d’en tirer des conséquences, faute pour Google d’avoir démontré son préjudice.

Conclusion

A l’issue de son examen, le Tribunal annule partiellement la décision de la Commission en ce qu’elle a considéré les accords de partage des revenus comme étant constitutifs d’un abus distinct, mais valide le reste de la décision.

Les trois pratiques ont été analysées comme poursuivant un objectif commun et comme étant interdépendantes, de sorte qu’elles ont été qualifiées ensemble d’infraction unique et continue, constitutive d’un abus de position dominante.

Le montant d’amende infligé à Google est quant à lui ramené à 4,1 milliards d’euros, ce qui reste le montant le plus élevé imposé à une société pour un abus de position dominante. Google n’a pas encore annoncé faire appel de la décision. Affaire à suivre …

Un aperçu global de l’état actuel des contentieux contre Google au niveau de l’Union européenne :

En novembre 2021, dans l’affaire « Google Shopping », le Tribunal de l’UE a confirmé l’amende de 2,4 milliards d’euros prononcée par la Commission pour pratiques anticoncurrentielles sur le marché des comparateurs de prix. Google a introduit un pourvoi contre ce jugement devant la Cour de justice de l’Union européenne[9].

En 2019, dans l’affaire « Google Adsense for Search », la Commission infligeait une amende de 1,5 milliard d’euros à Google pour infraction à la concurrence imputée à sa régie publicitaire AdSense. L’appel de Google contre cette décision est en passe d’être jugé[10]. L’audience a en effet eu lieu en mai dernier. Le Tribunal doit désormais se prononcer…

[1] Communiqué de presse, 15 avril 2015, la Commission ouvre une procédure formelle d’examen contre Google concernant le système d’exploitation pour téléphones mobiles Android :

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/MEMO_15_4782.

[2] Communiqué de presse, 18 juillet 2018, la Commission inflige à Google une amende de 4.34 milliards d’euros pour pratiques illégales concernant les appareils mobiles Android en vue de renforcer la position dominante de son moteur de recherche :

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_4581.

[3] La  plus lourde sanction imposée par la Commission reste la sanction de 13 milliards imposée à Apple pour les aides d’État indûment perçue en Irlande en 2016.

[4] Communiqué de presse du Tribunal de l’Union européenne, 14 septembre 2022 :

https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2022-09/cp220147fr.pdf.

[5] TUE, T-604/18, 14 septembre 2022, Google Android, point 295.

[6] Cette analyse du concurrent aussi efficace, dite « As Efficient Competitor Test » en anglais, provient de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission , C-413/14 P et a été reprise.

[7] Dans l’affaire Intel du 26 janvier 2022 (T-286/09 Intel Corporation/Commission), la Commission reprochait à Intel d’avoir profité de sa position largement dominante. La décision de la Commission d’imposer à Intel une amende de 1,06 milliard d’euros, a par la suite pourtant été annulée en partie par la Cour de justice de l’Union européenne.

[8] A l’occasion de l’affaire Qualcomm (T-235/18 Qualcomm/Commission) – déjà commentée par notre équipe Abus de position dominante de Qualcomm : remise en cause totale en appel de l’amende de 1 Md€ initialement infligée par la Commission – Virginie Coursière-Pluntz et Camille Peraudeau https ://pdgb.com/fr/actualites/actualite-juridique-abus-de-position-dominante-de-qualcomm/ – le Tribunal s’est concentré sur le contrefactuel pour annuler l’amende de près d’un milliard contre l’équipementier en téléphone mobile.

[9] CJUE, C-48/22 P Google et Alphabet/Commission (Google Shopping), affaire en cours.

[10] TUE, T-334/19 Google and Alphabet v Commission (Google AdSense for Search).

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